Artistes et mouvement des droits civiques (3/4) sur RFI
Dossier thématiqueExtrait du site www.rfi.fr
Au cœur des années 50, la société américaine semble évoluer. Certes, le conservatisme politique est toujours bien ancré dans les hautes sphères du pouvoir à la Maison Blanche, mais quelques inclinaisons progressistes du président Eisenhower laissent entrevoir une adaptation des valeurs sacrées à la réalité du quotidien. En d’autres mots, le premier pas vers une égalité de droits pour Blancs et Noirs est envisageable.
La première étape de ce long chemin de croix sera la loi du 17 mai 1954 qui imposera à tous les établissements scolaires du pays d’intégrer des étudiants noirs sans aucune discrimination. Évidemment, les opposants à cette loi fédérale seront nombreux et déterminés. En 1957, le gouverneur Orval Faubus refusera d’appliquer cette directive dans l’Arkansas, et interdira l’entrée d’enfants noirs dans un lycée de Little Rock. Le contrebassiste Charles Mingus, indigné par cette attitude outrageusement réactionnaire, composera « Fables of Faubus », une œuvre satirique à destination de cet homme politique américain blanc et raciste.
Les chants, les prières porteront, certes, l’espoir d’un monde plus juste, mais ne parviendront que très rarement à infléchir les positions extrémistes d’une minorité de Blancs bien trop attachés à leurs petits privilèges pour entendre la voix de la raison. Autant dire que la ferveur du pasteur King, lors de son prêche légendaire, contrastait singulièrement avec le vécu douloureux de la population afro-américaine de l’époque.
Harry Sweets Edison, disparu en 1999, était trompettiste dans l’orchestre de Count Basie. Sa vie fut un enfer, et il tenait à rappeler certaines vérités chaque fois qu’on le questionnait à ce sujet :
“Nous avons beaucoup souffert. C’était dur de voyager en bus 300 jours par an, ne pas savoir où dormir en arrivant à destination, ne pas pouvoir s’arrêter dans les restos des états du Sud, ou encore avoir peur d’aller acheter à manger dans un magasin. Les musiciens actuels n’ont pas connu cette souffrance, ils n’ont pas cette expérience. Il fallait vraiment être musicien pour supporter ces conditions et se battre pour être reconnu en tant qu’être humain. Mais quand on dépasse cette dure réalité, qu’on persévère dans ce qu’on aime, qu’on traverse tous ces obstacles, cela finit par rejaillir dans votre personnalité. Cela a permis aux anciens de construire un patrimoine pour les jeunes générations. Ils leur ont ouvert la voie au prix de nombreux sacrifices. Je ne pense pas que les jeunes d’aujourd’hui auraient supporté cela, ils n’auraient jamais eu cette humilité ! Ils n’auraient pas accepté qu’on leur interdise l’entrée d’un restaurant, qu’on leur interdise de marcher dans la rue. J’ai connu cela, on ne devait pas croiser les Blancs. On espérait, en revenant un an plus tard dans la même ville, que les choses aient changé. Mais non ! On vous déniait le droit d’être un homme. Et pourtant, j’ai continué à faire mon métier de musicien. Je ne pense pas que les jeunes auraient été capables de supporter cela. Ils n’auraient pas accepté qu’on bafoue leurs droits civiques, mais nous savions que la rébellion, c’était la mort !”