Blues et esclavage
Itinéraires thématiquesEn parlant à la première personne, le chanteur de blues révèle l’identité du Noir aux yeux de l’Amérique. En tant qu’esclave, réduit au statut de possession matérielle à l’instar de la terre, des animaux et des machines agricoles il n’avait ni nom, ni parole. Le blues va acter le changement de statut du Noir après l’émancipation (même si sa condition n’est guère meilleure qu’avant) qui d’objet devient sujet. Il demeure de ce fait indissociable des jours sombres de l’esclavage du racisme et de la misère, héritage funeste sur lequel il s’est développé en tant qu’expression autonome.
Les premiers Africains sont débarqués en 1619 à Jamestown (état de Virginie). Leur adaptation facile, contrairement aux colons européens, au climat tropical du Sud des États-Unis va faire d’eux une main d’oeuvre rêvée dans les plantations qui se consacrent à la culture du tabac, du riz, de la canne à sucre, puis du coton à partir de l’invention de la machine à égrener en 1793.
Le commerce triangulaire, qui fera la fortune de ports négriers en Europe (Nantes en France, Bristol en Angleterre) est aux mains de compagnies créées par les états eux-mêmes qui se font la guerre pour l’« asiento », le monopole de la traite des esclaves africains dans les colonies d’Amérique : c’est Colbert qui fonde la Compagnie des Indes Occidentales en 1664 sur le modèle de la Compagnie néerlandaises des Indes Orientales créée en 1602 et qui rédige le Code Noir, signé par Louis XIV en 1685, qui dénie aux esclaves le statut d’être humain. Les bateaux négriers échangent, contre des marchandises manufacturées en Europe, des prisonniers de guerres intertribales en Afrique de l’Ouest, les transportent dans des conditions épouvantables en Amérique où ils les vendent et repartent sur le vieux continent avec des produits du sol américain. Après le Portugal, l’Espagne et la France, c’est l’Angleterre qui impose progressivement sa domination sur les mers, c’est aussi de ce pays que vont s’élever les premières voix réclamant l’abolition de l’esclavage. L’abolition de la traite par l’Angleterre en 1807 puis de l’esclavage dans les colonies britanniques en 1833 n’empêche pas son maintien aux États-Unis, indépendants depuis 1783, en raison de la demande exponentielle en coton de l’Europe industrielle.
À la veille de la guerre de Sécession (1860) dont l’issue conduira à l’abolition de l’esclavage (1865), environ 4,5 millions de Noirs vivent aux Etats-unis dont 92,2% dans les états du sud, 7,7% dans le nord et 0,1% dans l’ouest (voir carte USA 1860). La quasi-totalité de la population noire vit donc en zone rurale. Le travail y est rythmé par les « work-songs » et « field-hollers » chants a-capella basés sur des appels et réponses entre un soliste et un collectif, la vie sociale y est ponctuée par des rituels d’origine africaine à l’occasion de cérémonies religieuses, mariages, funérailles : les « ring-shout » qui ont survécu jusque dans la culture hip-hop étaient des rituels extatiques réalisés en cercle, accompagnés de claquements de main et de frottements de pieds sur le sol durant lesquels celui qui se sentait inspiré, se mettait au centre pour effectuer une figure particulière de son invention.
Texte : Gaby Bizien / Blues sur Seine. Tous droits réservés
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